Montage photo William Émard au cheval d'arçons, de René Cournoyer aux barres parallèles et de Felix Dolci aux anneaux.Filippo Tomasi
Filippo Tomasi

Remettre la gymnastique artistique masculine canadienne sur la carte 

La gymnastique artistique masculine au Canada connaît une période creuse.

Alors que les noms d’Ellie Black et de ses coéquipières sont connus d’une grande majorité grâce à leurs succès des dernières années, le Canada n’a pas qualifié d’équipe complète de gymnastique artistique masculine pour les Jeux olympiques depuis 2008. Les Canadiennes, quant à elles, sont déjà qualifiées pour Paris 2024, ayant obtenu leur laissez-passer d’équipe après avoir décroché la médaille de bronze aux Championnats du monde à Liverpool l’an dernier.

Félix Dolci, William Émard et René Cournoyer, ainsi que Zachary Clay et Jayson Rampersad, sont prêts à remettre la gymnastique artistique masculine canadienne sur la carte. Ils forment l’équipe qui participera aux Championnats du monde de gymnastique artistique de la FIG à Anvers, en Belgique, à compter du 30 septembre. Ils doivent se classer parmi les neuf premières équipes du tour de qualification (sans compter la Chine, le Japon et la Grande-Bretagne qui sont déjà qualifiés) afin d’obtenir un laissez-passer olympique pour une équipe masculine complète de cinq gymnastes. 

Les pays qui n’arrivent pas à qualifier une équipe peuvent qualifier jusqu’à trois athlètes individuels. Cournoyer était le seul gymnaste artistique masculin canadien aux Jeux de Tokyo 2020.

Bien qu’elle soit souvent considérée comme un sport monolithique, la gymnastique artistique masculine et la version féminine présentent des différences importantes. Alors que les hommes compétitionnent sur six engins (exercice au sol, cheval d’arçons, anneaux, saut, barres parallèles et barre fixe), les femmes prennent part à des compétitions sur quatre engins : exercice au sol, saut, barres asymétriques et poutre.

Ce dernier engin est un véritable point d’achoppement pour les hommes. Olympique.ca s’est entretenu avec Dolci, Émard et Cournoyer pour leur demander ce qu’ils aimeraient que les gens sachent au sujet de la gymnastique, et la poutre fut mentionnée à plusieurs reprises.

Dolci : « Les gens ne connaissent pas autant la gymnastique masculine que la gymnastique féminine, et ils se font souvent de fausses idées sur les épreuves auxquelles nous participons. Vous savez, ils pensent que nous faisons la poutre. »

Émard : « La gymnastique peut être très compliquée à comprendre. C’est l’un des sports les plus beaux et les plus difficiles (j’ai évidemment un parti pris). Toutefois les gens aiment la regarder parce que, pour nous, cela semble facile. J’aimerais donc que les gens comprennent mieux… Oh et j’aimerais que les gens arrêtent de me demander si je fais de la poutre. » 

Cournoyer : « D’abord, j’aimerais que les gens sachent que les gars ne font pas la poutre. »

Par respect pour ces athlètes, c’est la dernière fois que le mot « poutre » sera mentionné dans cet article !

Comment sont-ils sont devenus des gymnastes de haut niveau ?

Dolci, Émard et Cournoyer étaient tous des enfants énergiques dont les parents cherchaient un sport afin de les fatiguer. Dans le cas d’Émard et Cournoyer, le trampoline fut un coup de foudre immédiat et une porte d’entrée vers la gymnastique dans son ensemble.

Aujourd’hui, à ce stade de leur carrière, une journée d’entraînement moyenne consiste à concilier les heures passées au gymnase pour la mobilité, la pratique des habiletés, le conditionnement physique et les exercices de réadaptation avec leurs études. 

Dolci dit qu’il n’est pas inhabituel pour lui de faire trois séances par jour – deux séances d’entraînement au gymnase le matin et l’après-midi, puis une séance de réadaptation à la maison le soir. Cournoyer étudie actuellement à la maîtrise en physiothérapie et met en pratique ses connaissances scolaires tous les jours au gymnase, en apportant des modifications aux exercices de conditionnement et de mobilité, tout en restant vigilant concernant la prévention des blessures, un problème courant dans ce sport à fort impact. 

Quand ces athlètes parlent de « gym », ils réfèrent à l’entraînement sur les différents engins de gymnastique, pas vraiment à la salle de musculation.

« La gymnastique est basée sur le poids du corps. Les gens me demandent donc : « Wow, combien soulèves-tu ? » et je réponds : « Je ne sais pas » », raconte Cournoyer en riant.

Comment apprend-on une nouvelle compétence de gymnastique ? Dolci estime que la disponibilité de la technologie vidéo a accéléré le processus d’acquisition des compétences pour les gymnastes de cette génération. Quand il veut apprendre une nouvelle compétence, il peut regarder des vidéos d’autres gymnastes qui l’exécutent presque parfaitement, en voyant idéalement une gamme de techniques et de types de corps. C’est une ressource que même les gymnastes de la génération précédente n’ont pas eue à portée de main. 

Ensuite, son entraîneur et lui décomposent la compétence en plus petits éléments et les travaillent séparément. Une fois qu’il a maîtrisé les différentes parties de la compétence individuellement, il peut commencer à essayer de les réaliser ensemble.

Felix Dolci aux anneaux.
Félix Dolci aux Championnats du monde de gymnastique artistique de la FIG à Liverpool, au Royaume-Uni, le lundi 31 octobre 2022. ( Filippo Tomasi Photography)

« Ça ne fonctionnera pas du premier coup, ça n’arrive pratiquement jamais », souligne Dolci.

Ensuite, tout est une question de travail. Il faut faire des répétitions jusqu’à ce que la compétence devienne une seconde nature. C’est alors qu’il peut commencer à se préoccuper de la « perfection » en mettant l’accent sur le redressement des jambes et le pointage des orteils. 

Les médias sociaux ont aussi créé une nouvelle réalité, les gymnastes étant beaucoup mieux informés des compétences que leurs pairs internationaux sont capables d’exécuter. Auparavant, cette connaissance n’aurait été acquise qu’en se côtoyant dans les compétitions.

« Disons qu’après les Championnats du monde, le plus grand saut au monde est un triple Tsuk, je donne juste un exemple, et que quelques semaines plus tard, quelqu’un fait un trois et demi. Il a ajouté un demi-tour, explique Dolci. Quand nous voyons cela sur les médias sociaux, nous nous mettons tous au défi d’élever notre niveau, même quand nous ne sommes pas en compétition les uns contre les autres. »

William Émard effectue une vrille à l'horizontale dans les aires.
William Émard aux Championnats du monde de gymnastique artistique de la FIG à Liverpool, au Royaume-Uni, le jeudi 27 octobre 2022. ( Filippo Tomasi Photography)

« Cela allume une flamme en nous »: discussion sur le succès de l’équipe féminine canadienne

Sans blague à propos de l’engin-qu’on-ne-doit-pas-mentionner, l’équipe masculine soutient et s’inspire du succès de l’équipe féminine canadienne. Dolci décrit la qualification de l’équipe féminine pour Paris comme un « moment qui m’a donné la chair de poule », tandis qu’Émard la qualifie de « magique ».

« C’était tout simplement magnifique, dit Dolci. J’étais assis là, en état de choc, puis je me suis senti très ému. Cela a vraiment allumé un feu en nous, car nous voulons faire de même. Cela fait des années que l’équipe masculine n’a pas contribué aux succès d’Équipe Canada et nous savons que c’est ce que nous pouvons faire. »

Émard a vécu une expérience similaire : « J’étais dans les gradins quand c’est arrivé, et c’est probablement l’une des sensations les plus folles que j’ai ressenties en gymnastique. Je ne peux donc même pas imaginer ce que je ressentirais si nous nous qualifiions. »

En plus des grands moments de célébration, Émard souligne que les petits moments comptent aussi.

« J’aime ces petits moments. Quand Ellie Black a remporté sa première médaille à la poutre [note de l’auteur : c’est lui qui l’a dit!], je me souviens lui avoir dit après coup : « Tu le mérites. Tu le mérites vraiment, et je suis tellement heureux pour toi. » C’est un exemple de petit moment. »

À propos des Championnats du monde à venir

L’équipe cherchera à vivre ces moments, petits et grands, aux Championnats du monde à venir. Elle affronte la concurrence avec une confiance calme et, surtout, une confiance mutuelle. Ce niveau de confiance est particulièrement élevé entre Dolci et Émard, qui s’entraînent ensemble à Laval depuis leur enfance.

Souvent considérée comme un sport individuel, la dynamique change lorsque l’on participe à des compétitions en équipe. La confiance est absolument essentielle, et la combinaison de différentes forces est la recette du succès. Bien qu’ils soient tous les trois très polyvalents, ils admettent que le cheval d’arçons n’est la force d’aucun d’entre eux. Clay et Rampersad apportent l’expertise nécessaire sur cet engin.

« J’ai l’impression que ce qui est spécial dans cette équipe, c’est que chaque gars qui se présente à la compétition, je sais que [mon coéquipier] peut réussir. J’ai vraiment confiance en lui, dit Émard. Quand nous tentions de nous qualifier pour Tokyo, il y avait des gars qui amorçaient une épreuve et j’étais nerveux, je ne savais pas s’ils allaient réussir ou non. Cette fois-ci, je sais que chacun d’entre nous peut y arriver et si quelqu’un commet une erreur, je suis certain que nous avons une autre personne qui peut prendre la relève. »

Cournoyer est du même avis : « Quand on sait que les autres vont faire leur travail, on n’a pas l’impression de devoir tout mettre sur nos propres épaules. »

L’équipe est particulièrement confiante après sa dernière compétition préparatoire avant les Championnats du monde, le RomGym Trophy, qui a eu lieu à Bucarest, en Roumanie, au début du mois de septembre. L’équipe a décroché l’argent, à seulement 0,25 point de l’Espagne, qui sera un concurrent clé aux Championnats du monde.

Avoir des modèles à suivre puis en devenir un

Les trois gymnastes ont tous vécu l’expérience de passer du statut de jeune enfant dans le gymnase, regardant les athlètes plus âgés exécuter des compétences qui semblent incroyablement difficiles, à celui d’athlète plus âgé, conscient que la prochaine génération le regarde.

Cournoyer se souvient encore d’avoir observé un gymnaste plus âgé dans son gymnase quand il était jeune, émerveillé par la façon dont il s’envolait dans les airs. Cela lui fait encore drôle de penser qu’il est à un niveau bien plus élevé que celui qui l’impressionnait quand il était enfant. Cet athlète plus âgé a eu une influence durable sur lui.

René Cournoyer fait un salut.
RenŽé Cournoyer s’exécute aux barres parallèles aux Jeux panaméricains de Lima 2019, le 31 juillet 2019. Photo David Jackson/COC

« Il y a toujours une compétence à la barre fixe pour laquelle je suis connu, le Yamawaki. Certains disent que j’ai la meilleure exécution de cette technique au monde, explique Cournoyer. J’ai d’abord voulu le faire parce qu’il y avait un gars plus âgé dans mon gymnase quand j’étais jeune qui l’exécutait dans ses routines. C’était un peu sa signature et je trouvais ça super. Maintenant, c’est une sorte d’incontournable dans mes routines aussi. »

À 23 ans, Émard dit que c’est cette année qu’il s’est rendu compte qu’il était maintenant ce « gars plus âgé » dans le gymnase : « Nous nous entraînons avec des garçons de 13 et 14 ans qui sont très bons et qui pourraient être l’avenir de Gymnastique Canada. Maintenant, je me dis : « D’accord, je dois être un modèle et montrer qu’il faut continuer à travailler fort en vieillissant. » »

Bonne chance en Belgique

L’équipe masculine se rendra aux Championnats du monde aux côtés de l’équipe féminine composée d’Ellie Black, Aurelie Tran, Ava Stewart, Cassie Lee et Rose Woo, dans l’espoir de rentrer au pays avec deux équipes qualifiées, et non une seule.

« Je pense que nous avons plus de chances que jamais, déclare Dolci. Le problème avec la gymnastique cependant, c’est que peu importe ce que vous faites à l’entraînement, ce qui compte, c’est la façon dont vous vous présentez le jour de l’événement. Pour tous les gars ici présents, ce sera l’un des plus grands moments de leur carrière. Je pense donc que nous devons rester calmes et faire notre travail, rien de plus, rien de moins. Il faut profiter de ce moment pour donner tout ce que nous avons. »

Juste au cas où vous vous poseriez la question… ils ne feront pas de routine à la poutre.

Consultez le programme complet des Championnats du monde ici. Les finales seront diffusées en ligne par Radio-Canada Sports.

Avant de nous quitter, nous avons demandé à Félix, William et René de répondre à quelques questions…

Quel athlète admirez-vous ?

FD : Connor McGregor – « J’admire vraiment sa préparation mentale. »

WE : Roger Federer – « Je l’admire pour son comportement pendant les matchs, même quand il jouait moins bien. Il est mature et calme. J’apprécie vraiment la façon dont il se comportait sur le terrain. »

RC : Kyle Shewfelt – « C’est le gymnaste qui a remporté la seule médaille [olympique] que le Canada ait jamais gagnée en gymnastique, et il a été ma première idole. Au fil des ans, il est devenu un mentor, puis un ami. Il a vraiment été un excellent mentor pour les Jeux olympiques de Tokyo, en m’expliquant ce à quoi je devais m’attendre et comment gérer le stress. »

Quelle est votre compétence préférée?

FD : Cassina aux barres parallèles – « C’est une compétence très difficile et très risquée, mais la sensation de s’envoler dans les airs et de rattraper la barre ensuite est absolument incroyable. »

WE : Kovac à la barre fixe – « C’est un double arrière que l’on fait et ensuite on essaie d’attraper la barre. C’est l’exercice qui me donne le plus l’impression de voler, mais de manière contrôlée. Ce n’est pas comme si je me lançais simplement dans les airs, je dois être précis. La sensation de se jeter par-dessus une barre métallique, de faire un double saut périlleux arrière et de la rattraper est incroyable. Quand j’étais jeune, j’avais tellement peur de cette compétence que maintenant, c’est l’une de mes préférées. »

RC : Yamawaki à la barre fixe : « La sensation de voler est la plus amusante. »