Jill Moffatt : L’anxiété et les crises de panique font partie de mon parcours olympique… et je m’en accommode
C’est le matin de l’une des courses les plus importantes de ma carrière d’aviron. Nous avons une chance de qualifier le Canada pour les Jeux olympiques de Paris 2024. Toutefois, au lieu de me préoccuper du résultat, je crains d’avoir une crise de panique.
Je scrute mon corps à la recherche du moindre signe qui pourrait me trahir. J’ai recours à toutes les stratégies possibles pour lutter contre la surstimulation. Je suis divisée entre l’utilisation de cet état émotionnel exacerbé comme un super pouvoir et la perte de contrôle de ma tête et de mon corps.
Comme beaucoup de personnes, je suis aux prises avec l’anxiété et les crises de panique.
C’est une réalité que j’ai dû gérer tout au long des cinq dernières années de ma carrière d’aviron et que je continuerai à surveiller tout au long de ma préparation en vue des prochains Jeux olympiques.
Afin de déstigmatiser et démystifier les défis de santé mentale, je souhaite partager ce que j’ai appris sur moi-même depuis mon diagnostic et comment j’utilise ces expériences passées pour renforcer ma préparation pour Paris 2024.
J’ai eu ma première crise de panique en 2018 et j’ai été officiellement diagnostiquée comme faisant de l’anxiété et avec un trouble de crises de panique un an plus tard. À l’âge de 26 ans, cela semblait en contradiction avec l’histoire que je racontais sur moi-même. Cela n’avait pas de sens. J’avais une famille formidable, des amis extraordinaires, une vie en dehors de l’aviron et je terminais mes études de maîtrise. Cela me semblait injuste.
Avec le recul, je peux voir les signes avant-coureurs. Je vois les petits symptômes qui se sont lentement transformés en expériences ingérables.
J’ai rejoint le Centre national d’entraînement pour l’aviron après les Jeux olympiques de 2016. Jusqu’alors, je n’avais jamais ressenti les symptômes d’un trouble mental. J’ai connu des moments d’angoisse, de dépression, de stress, mais j’avais les outils pour y faire face. En général, j’étais (et je suis toujours) une optimiste dont l’énergie constante animait ma personnalité bavarde et extravertie. J’aimais la compétition et j’étais heureuse de me consacrer à un objectif commun.
Mon anxiété a commencé à se développer lentement en 2018 et, bien que je sois à l’écoute de ma tête et de mon corps en tant qu’athlète de haut niveau, j’ai ignoré les signes avant-coureurs. J’avais du mal à manger avant l’entraînement, ce qui n’avait jamais été un problème auparavant. Une fois que j’étais à l’entraînement et que je m’activais, je me sentais en pleine forme. J’ai mis cela sur le compte d’un estomac sensible le matin, un enjeu qui pose problème à de nombreux athlètes.
Au cours de la saison de compétition 2018, j’ai commencé à ressentir des nausées extrêmes le matin d’une course. Parfois, la nausée était si forte que je ne pouvais pas retenir ma nourriture et que je finissais par vomir. Je ne réalisais pas que ce que je vivais était une crise de panique.
J’en avais parlé à mon entraîneur et au conseiller en préparation mentale de notre équipe. On m’a recommandé de travailler sur la pleine conscience pour combattre les nausées que je ressentais. Ce n’était pas un mauvais début, mais la pleine conscience semblait être un petit pansement sur ce qui était en train de devenir une plaie béante.
Je n’ai pas laissé ces moments nuire à mes performances. J’ai réalisé des records personnels, je suis devenue championne nationale et j’ai participé à la finale des Championnats du monde d’aviron en 2018.
L’année suivante, la situation s’est aggravée. À l’occasion d’un déplacement en voiture sur l’île de Vancouver pour participer à un camp de sélection d’une semaine, je me suis retrouvée à vomir dans le stationnement arrière d’une épicerie. Une crise de panique m’avait envahie alors que je décidais du type de pain que je voulais acheter. Il n’y avait pas d’explication logique à ce moment-là; je savais simplement que quelque chose n’était plus normal. Pourtant, j’ai tenu bon, j’ai participé aux sélections et j’ai obtenu ma place au sein de l’équipe de la Coupe du monde. J’ai essayé d’aller de l’avant.
Cet été-là, les crises de panique se sont aggravées. J’ai eu des crises de panique lors de souper au restaurant et chez la coiffeuse. J’allais quand même à l’entraînement, j’obtenais de bonnes performances et j’avais toujours une vie en dehors de l’aviron.
Avant de partir pour une Coupe du monde, les choses se sont précipitées. J’ai ressenti une peur de l’avion que je n’avais jamais connue auparavant. J’ai eu de multiples crises de panique tout au long de la nuit et j’ai à peine dormi. Ne sachant que faire, j’ai appelé mon entraîneur et nous avons communiqué avec le médecin de l’équipe. Heureusement, on m’a donné des médicaments pour me sortir du cycle de panique dans lequel je me trouvais. J’ai fait le voyage, car le médecin de l’équipe allait être disponible en personne et cela me semblait une option beaucoup plus sûre que de rester seule à la maison.
Sept jours plus tard, j’ai remporté une Coupe du monde. Bien que j’aie perdu près de 10 livres et que j’étais constamment en état de lutte ou de fuite, j’ai livré la marchandise.
Au retour de ce voyage, j’ai été officiellement diagnostiquée et j’ai commencé à prendre un ISRS (inhibiteur sélectif de la recapture de la sérotonine). J’étais contente de prendre des médicaments, désespérée en fait. J’aurais fait n’importe quoi à ce moment-là pour avoir le sentiment de contrôler mon esprit et mon corps. Je me suis sentie trahie par ma tête et encore plus par mon corps.
Ce qui s’est passé pendant cette période a fait de moi l’athlète que je suis aujourd’hui.
Mes médicaments ont commencé à donner des résultats et mes crises de panique se sont faites plus rares. J’ai aussi commencé à comprendre ce que j’avais vécu et à me doter de véritables outils pour atténuer ce phénomène à l’avenir. J’ai lentement changé en tant qu’athlète et je m’en porte mieux.
J’ai maintenant une confiance inébranlable dans ma capacité à offrir de grandes performances. Cela peut sembler contradictoire pour quelqu’un qui a ressenti un manque de contrôle sur son corps à la suite d’une crise de panique. Cependant, j’ai commencé à trouver refuge dans la capacité que, peu importe ce qui s’est passé avant que je ne monte dans l’embarcation, je peux bien faire. En étant dans un état aussi désespéré en 2019 et en continuant à livrer la marchandise, j’ai cru que rien ne pouvait m’arrêter.
Ces expériences ont aussi forgé un lien indéfectible entre moi et ma partenaire d’aviron, Jenny Casson. Nous participons ensemble au deux de couple poids léger féminin depuis 2019 et il est difficile de cacher une crise de panique à quelqu’un avec qui vous passez tout votre temps.
Jenny a été là pour me tenir la main quand une crise de panique s’est emparée de moi. Elle était là pour me dire que tout allait bien et que nous pouvions prendre le temps dont j’avais besoin. Elle ne m’a jamais jugée, elle ne m’a jamais donné l’impression de la décevoir. Dans un sens, je me sens redevable envers elle pour sa compassion et sa confiance. En raison de mes crises de panique, notre lien s’est développé d’une manière qu’on ne peut pas forcer. Grâce à la compassion qu’elle m’a témoignée, je ferai tout pour que ses rêves se réalisent.
J’ai appris à être vulnérable, à partager mes difficultés avec les membres de ma famille, mon entraîneur et le personnel de soutien. J’ai appris à demander de l’aide et à fixer des limites.
L’été dernier, j’ai appris à exploiter mon registre émotionnel et à l’utiliser pour réaliser des performances optimales quand les enjeux sont les plus élevés. Auparavant, je pouvais compter sur ma capacité à me dépasser physiquement. Maintenant, j’ai appris à cultiver un état émotionnel inébranlable et impitoyable.
Quand nous sommes arrivées sur le parcours le matin de notre course de qualification pour les Jeux olympiques de 2024, Jenny et moi avions un désir sans borne de faire tout ce qui était nécessaire. Nous avions parlé de ce moment toute l’année. Malgré la pression qui pesait sur nous, nous avions travaillé sur la manière de la contrôler.
Nous étions tellement déterminées à ne pas laisser nos adversaires nous priver de notre rêve olympique que je ne savais pas si nous étions sur le point de participer à un match de boxe ou à une course d’aviron. Je sentais l’adrénaline couler dans mes veines, mais cette fois-ci, nous avions travaillé à canaliser cette sensation et à l’utiliser à notre avantage.
Je ne craignais pas le résultat, car je savais au fond de moi que je ne laisserais jamais personne nous priver de cette occasion. Je restais sur mes gardes à l’idée qu’une crise de panique puisse survenir, mais je savais que si cela se produisait, nous irions de l’avant. Nous nous sentions invincibles.
Nous avons réussi la meilleure course de notre carrière ce jour-là. Nous avons remporté notre demi-finale, ce qui a permis au Canada de s’assurer une place dans le deux de couple poids léger féminin à Paris 2024. Nous avons terminé la régate avec notre meilleur classement en carrière, soit la quatrième place au monde. Nous avions enfin réussi à jumeler l’élément mental et physique de la compétition. Ce fut un moment décisif.
Aujourd’hui, je commence à me tourner vers les cinq prochains mois, alors que nous nous préparons pour les Jeux olympiques.
J’ai toujours des hauts et des bas en ce qui concerne l’anxiété et il m’arrive encore d’avoir des crises de panique. Je travaille avec Jenny, mon entraîneur Jeremy Ivey, mon psychiatre et mon psychologue pour surveiller tout cela. Je ne sais pas si, un jour, j’arrêterai d’avoir des crises d’angoisse ou de panique, mais j’apprends à être gentille avec moi-même et à accepter ce que je ne peux pas contrôler. Cela fait partie de mon parcours olympique et je m’en accommode.
S’il y a une chose que j’ai apprise, c’est que la maladie mentale n’est pas une faiblesse. Elle ne fait pas de vous une version inférieure de vous-même. Avec l’aide adéquate et le soutien de votre équipe, vous pouvez relever les défis qui se présentent à vous et retrouver une nouvelle estime de vous-même.
Jill Moffatt a fait ses débuts olympiques à Tokyo 2020, où elle a participé à l’épreuve du deux de couple poids léger féminin avec sa partenaire Jenny Casson. Leur quatrième place dans cette épreuve aux Championnats du monde d’aviron 2023 était le meilleur résultat de leur carrière et a permis au Canada d’obtenir un quota de qualification olympique. Elles s’entraînent maintenant en vue d’être dans cette embarcation aux Jeux olympiques de Paris 2024. Il s’agira de la dernière régate olympique comportant des épreuves d’aviron poids léger.