La grande ascension du breaking : d’une activité marginale à la plus grande scène sportive au monde
Cette forme de danse dont les origines remontent au Bronx dans les années 1970, aux communautés noire et latino et à la culture hip-hop se retrouvera sur la plus grande scène sportive dans le cadre de Paris 2024.
Le breaking, ou parfois appelé à tort break dancing par les médias traditionnels, fera ses débuts olympiques cet été alors que le Comité international olympique se tourne vers un sport et une forme d’art qui ont toujours attiré un public jeune et diversifié.
Certains précurseurs canadiens évoquent les grands défis auxquels ils ont dû faire face à l’époque pour trouver des endroits où s’entraîner. Ils racontent qu’ils se sont littéralement introduits dans des maisons abandonnées en pleine construction où ils ont allumé leur minichaîne pour danser jusqu’à ce que la sécurité les mette à la porte.
Un événement organisé ce printemps dans un centre communautaire du quartier chinois de Toronto a montré à quel point le breaking a progressé et à quel point il attire une diversité de personnes.
Dès que les gens arrivaient près du bâtiment, la musique retentissait par la fenêtre alors que le DJ se retrouvait sur une scène aux côtés d’un animateur qui motivait la foule. Des cercles de personnes, toutes en tenue de ville et connues sous le nom de « cypher », bougeaient leur corps au rythme de la musique pour s’échauffer. Au moment où la compétition a débuté, tous les regards se sont tournés soudainement vers le centre du cercle pendant que les danseurs virevoltaient sur la tête, les épaules, les bras et les jambes, sous les applaudissements nourris de la foule.
Glen Reyes, superviseur des opérations et de la programmation pour Breaking Canada, membre de Canada DanceSport, l’organisme national de sport au Canada, était présent pour surveiller chaque mouvement.
« Le breaking est populaire auprès des jeunes et il a été important pour moi parce qu’il s’agit d’un moyen de m’exprimer et d’exprimer mon art unique de différentes manières au monde, explique Glen Reyes, lui-même un ancien danseur. C’était vraiment attirant pour quelqu’un qui a grandi dans une famille asiatique au sein de laquelle il fallait absolument se concentrer sur les études. »
« Je raconte toujours aux gens que le breaking a été mon premier professeur de créativité. Ce sport vous encourage de manière positive à être différent en essayant de montrer aux gens des mouvements qu’ils n’ont jamais vus auparavant. »
Le frère de Glen, Geoff, est le président de Breaking Canada et il sera à la barre de l’équipe canadienne à Paris 2024.
Selon lui, il existe des dizaines de centres communautaires comme celui-ci dans tout le pays. Les dirigeants de ces centres tentent d’aider les jeunes Canadiens à développer leur potentiel par l’entremise du breaking.
« Il est évident que la musique, et en particulier le breaking, attire naturellement les jeunes. S’il n’y a pas de cercle défini et que quelqu’un commence à danser, un cercle se formera automatiquement autour de lui comme s’il s’agissait d’un spectacle. Alors, quand on tente de savoir quels types de personnes s’intéressent au breaking, je pense qu’il est possible d’affirmer que tout le monde l’est parce que la plupart des gens vont s’arrêter pour regarder. »
Geoff explique que le breaking a toujours été considéré comme une forme d’art, mais qu’il y a aussi eu un volet compétitif et quelques événements mondiaux de grande envergure au fil des années.
Il ajoute qu’avec l’inclusion du breaking aux Jeux olympiques, il s’attend à ce que sa boîte de courriel soit remplie de personnes cherchant des endroits au Canada où elles peuvent pratiquer le breaking.
« Les gens vont vouloir danser dès qu’ils verront le breaking à la télévision. Cela a toujours été notre objectif : essayer de sensibiliser les gens pour accroître la participation, notamment au sein de la communauté hip-hop, car il s’agit de l’un des éléments fondateurs du hip-hop. »
Pour arriver à Paris, le breaking a dû se conformer à certaines formalités du sport comme la mise en place de procédures antidopage et d’un système de juges indépendants.
Glen Reyes estime que le breaking possède un élément unique qui sera aussi mis en valeur à Paris.
« Ce n’est pas une danse chorégraphiée. Beaucoup de gens sont surpris par cela, par le fait que les danseurs ne viennent pas avec une chorégraphie préparée. Ils écoutent la musique, puis ils réagissent et répondent. »
Depuis les débuts du breaking, les danseurs sont connus sous le nom de B-Boys et B-Girls, en référence à la musique qui met notamment l’accent sur le rythme saccadé de la batterie.
Connu dans le milieu sous le nom de B-Boy Phil Wizard, Philip Kim sera l’un des athlètes dont les mouvements captiveront certainement les Canadiens à Paris.
Kim a remporté la médaille d’or en breaking aux Jeux panaméricains de Santiago 2023 en octobre dernier et a été l’un des deux porte-drapeaux d’Équipe Canada à la cérémonie de clôture.
Né à Toronto de parents coréens, Kim est tombé amoureux de ce sport et est devenu un prodige depuis qu’il a assisté à un spectacle de danse de rue dans le centre-ville de Vancouver en 2009. Il est rentré chez lui et il a passé beaucoup de temps à regarder des vidéos de breaking sur YouTube.
Il a finalement appris très rapidement. Kim possède des habiletés exceptionnelles qui lui ont permis de remporter plusieurs épreuves prestigieuses et d’obtenir le soutien de commanditaires qui n’ont fait que croître avec la participation de ce sport aux Jeux olympiques.
Connue sous le nom de B-Girl Tiff, Tiffany Leung a pu étaler son talent au centre communautaire de Toronto, elle qui espère rejoindre Kim au sein d’Équipe Canada à Paris.
Leung est née à Toronto et elle vivait chez ses parents à Hong Kong quand elle a eu l’occasion de revenir au Canada pour ses études universitaires. Pendant la semaine d’accueil à l’Université Queens, elle a découvert le breaking alors qu’un club de danse organisait une démonstration.
« J’ai vu cette fille faire des mouvements avec ses jambes. Ce fut instantané, je suis tombée en amour avec ces mouvements et je devais absolument tenter de les faire aussi. Je n’avais jamais vu des gens utiliser leur corps comme ça auparavant, » raconte Leung.
Leung estime que les mouvements de danse sont aussi magnifiques que ceux du patinage artistique. Selon elle, la difficulté physique est comparable à celle de la gymnastique, un sport qu’elle a pratiqué durant son enfance.
« Quand je danse, c’est le seul moment où j’ai l’impression que mon esprit, mon corps et mon âme sont en parfaite harmonie. C’est comme s’ils étaient nourris. Le breaking est le seul mouvement au monde où je me sens aussi libre », explique-t-elle.
Aux côtés de Leung, Emma Misak, alias B-Girl Emma, dansait vigoureusement au centre communautaire. Misak et Leung font partie des 40 meilleures B-Girls au monde et elles espèrent obtenir une place au sein d’Équipe Canada pour Paris 2024 dans le cadre de la Série de qualification olympique qui propose deux événements à Shanghai (du 16 au 19 mai) et à Budapest (du 20 au 23 juin).
B-Girl Emma a remporté une médaille d’argent pour le Canada à l’époque où le Comité international olympique a ajouté le breaking aux Jeux olympiques de la jeunesse d’été 2018 à Buenos Aires, en Argentine. Elle n’aurait jamais pu rêver à cela quand elle a commencé à danser.
« Maintenant que le breaking est aux Jeux olympiques, nous allons danser à la télévision, ça va juste exploser, » s’exclame-t-elle.
Tout cela est comme de la musique aux oreilles des frères Reyes. Les deux sont aussi passionnés qu’ils le sont par le breaking parce qu’ils considèrent qu’il s’agit d’une activité qui aide de nombreux jeunes canadiens à découvrir leur potentiel qui n’est peut-être pas si apparent au premier coup d’œil.
B-Girl Tiff raconte qu’elle est l’une d’entre elles.
Leung a dû surmonter de nombreux traumatismes dans sa vie. Sa mère est décédée en 2022 après avoir lutté contre l’alcoolisme. Leung explique que sa mère demeure sa plus grande source d’inspiration, car c’est elle qui a insisté pour que Leung se concentre sur son éducation.
« J’ai l’impression que le fait d’aller à l’Université Queens et d’être initiée au breaking a donné un sens à toute ma vie. »
Leung affirme que cela lui a permis d’entrer dans une communauté qui est presque devenue sa famille.
« C’est une communauté tellement forte. Nous nous poussons et nous nous encourageons constamment les uns les autres. Le fait de participer aux Jeux olympiques va rendre cette communauté encore plus forte.
Elle ajoute que « le breaking n’a pas besoin de la validation des Jeux olympiques, mais maintenant qu’il y est, cela lui donne plus de prestige et démontrera au monde entier que nous ne faisons pas n’importe quoi. »
Malgré ses réticences au départ, Leung affirme que sa mère est devenue l’une de ses plus ferventes admiratrices. Elle se souvient notamment d’une conversation qu’elle a eue avec elle avant son décès.
Sa mère lui a dit : « Quand tu iras aux Jeux olympiques et que tu remporteras l’or, tu devras saluer ta mère. »
Si Leung réussit à se rendre à Paris, elle pensera à ses premiers pas en breaking et à la réaction négative de certaines personnes.
« À l’université, nous nous entraînions au niveau inférieur du centre sportif. Nous pouvions voir les gens se moquer de nous quand nous roulions sur le sol. Maintenant, je me dis que nous sommes aux Jeux olympiques. Que faites-vous de votre vie maintenant ? »